Mercredi 14 avril 2021

Patrice Antona / Tempo : Strong beat…allegro ! 

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patrice antona
Porte-voix de la musique jazz en Corse, jeune retraité de la radio, Patrice Antona reste collé à ses disques, et à ce monde musical qui a littéralement envoûté sa vie. De l’éveil des passions de jeunesse au confinement d’une partie de son monde, en passant par les festivals, voici un portrait souriant de cet insatiable gourmet du beau son.

« Il faut être pris par la musique, à priori. Après, on se fait une culture…on a des exigences, des choses qu’on laisse tomber…mais d’emblée, il faut être séduit. Et ça, ma foi, c’est comme les voies du seigneur, impénétrable ! (Rires). La séduction du jazz, c’est un peu comme la séduction du rock, ça passe par la pulsation, ou par le swing comme on disait avant ».

Voilà, c’est comme ça que cela fonctionne dans les oreilles et dans la tête, selon Patrice. Pas forcément rationnel, mais pas déraisonnable, loin s’en faut. Sa manière de préparer ses émissions -auxquelles j’ai eu le bonheur d’assister lorsque mes jeunes années professionnelles ont croisé ses dernières à lui- dénote d’ailleurs d’une grande rigueur. Le secret de la longévité ? 

Patrice Antona, c’est l’un des fondateurs de ce temple culturel ajaccien qu’est l’Aghja, qui au départ était un club de jazz, avant de muer en scène ouverte à tous vents, pas que ceux des trompettes. C’est aussi et pour beaucoup une voix de radio. Alta Frequenza d’abord, France Bleu RCFM ensuite, où l’histoire d’amour a duré jusqu’à la fin du bail. Son bain musical de genèse : le Paris qui sonne ‘jazz’.

« Sans-doute qu’il y avait dans ma génération l’effet de mode du jazz New Orleans. À la fin des années 50, Sidney Bechet s’installe en France, c’est tout un monde, incarné aussi par des français comme Claude Luter. Quartier St Germain, à Paris, aussi, avec Boris Vian ».

Des sonorités qu’il entend à l’époque jusque dans son propre immeuble, où un clarinettiste s’époumone… Patrice n’a alors qu’une dizaine d’années, et c’est finalement plus tard que le déclencheur est arrivé. « Je pense que c’est par le Free Jazz », dit Patrice Antona, c’est-à-dire au milieu des années 1960. « Il y a à l’époque le mouvement noir qui est aussi à la manœuvre aux USA. En France, il y a une espèce de sensibilité de gauche voire d’extrême gauche. Cela forme un tout, et l’on a aussi cela en matière de rock ». 

D’ailleurs, la corde sensible de Patrice ira vibrer en Allemagne, autre pays de musique.

« Plusieurs années de suite avec des amis, on va à une grande fête pendant 4 jours...du jazz, comment dire, très « free », rigole-t-il, même assez destroy ! »

Il a 17 ans à cette époque, et alors s’ancrent en lui ses premières idées politiques. « Engagé à l’extrême gauche », précise Patrice. Nous n’en saurons pas plus, mais la seule musique n’a pas suffi. 

 

Retour en Corse

 

En 1977, c’est un retour aux racines qui s’opère. De retour en Corse, Patrice Antona s’implique dans l’associatif et les médias. Il s’engage avec une jeune radio « Alta Frequenza », à partir de 1983. Par la suite Patrice dirigera son souffle et sa voix douce vers les micros du service public. « Syncope » et « 4/4 » sont les deux premières émissions musicales qu’il anime dans les studios de la future « Bleu », RCFM. Le magazine culturel animé avec Isabelle Béziers, puis l’émission “Dernier Cri” avec Marie Bronzini, des points d’orgue pour Patrice et ces autres belles voix de radio qui ainsi ont accompagné l’essor culturel insulaire des années 1980, finalement très propices à la création.

Puis en 1986, c’est sur des planches que la passion monte, grâce à son association. «L’Aghja (quartier St Jean à Ajaccio), c’est un lieu pour le jazz à l’origine », rappelle-t-il. « On a trouvé ce hangar et on a monté un club de jazz. Et puis comme il y avait un manque à Ajaccio, on l’a ouvert à d’autres musiques et puis au théâtre ».

Patrice a aussi marqué les festivals de Jazz. À Calvi, en 1987, un événement orchestré par René Caumer, il réalise une performance, celle de tenir trois heures en direct par jour durant celui-ci ! Idem à celui de Bastia, et surtout à “Jazz in Aiacciu”, l’animateur a ouvert les micros de son « Arrivée d’Air Chaud » à des grands talents mondiaux du jazz, depuis la première édition et jusqu’en 2019.

Dans un autre domaine, celui de l’analyse de « l’actu », on vous conseillera de lire un jour ses

« Radiotages » (1992-1996). Un recueil de 67 billets d’humeur a été tiré de son autre émission marquante, chez Materia Scritta en 2007. « Depuis que je ne fais plus d’émissions du tout (deux ans ndlr), j’ai aussi décroché un peu de l’actualité…mais là, j’ai de quoi écouter des heures de musique ! » rigole-t-il en détournant le regard vers le mur multicolore de disques, soigneusement rangés dans tout le coin de la pièce.

Mais pourquoi y-a-t-il aussi peu de jazz en Corse, malgré l’existence de passionnés comme Patrice ?

« Il y a eu des moments, comme avec André Jaume et le groupe polyphonique « Tavagna » qui ont fait tout de même des festivals en Allemagne et en Suisse, ou encore « A Filetta » qui a travaillé avec le trompettiste sarde Paolo Fresu. De ce point de vue-là, ça a plutôt bien marché », mais comme le dit Patrice, « le jazz est un peu exigeant, ça demande souvent un peu de connaissance et de familiarité avec la musique pour apprécier, par exemple, Paco de Lucia, avec le flamenco aux “Musicales de Bastia” …c’était extrêmement austère ! », se souvient-il sans méchanceté.

Par ces temps de culture confinée, voire déconfite, Patrice garde une oreille affûtée sur les nouveautés, via le site de France Musique pour ne citer que lui, qui diffuse les concerts donnés à la Maison de la Radio. Avis aux curieux… Persuadé que le jazz, grâce aussi aux nouvelles têtes qui sortent des écoles et conservatoires parisiens comme marseillais, survivra à cette crise, Patrice Antona semble perplexe lorsqu’en fin de partition on lui parle d’un éventuel passeport vaccinal pour assister aux concerts…

« Bonjour à ceux qui vont faire les entrées ! (Rires), les files d’attente vont être interminables ! Comment voulez-vous faire ça ? En demandant un certificat de vaccination lors de l’achat d’un billet ? Franchement, je n’ai pas d’idée. […] Beaucoup de gens ont le mot « liberticide » à la bouche, mais il faut peser les deux… la mort est liberticide, la maladie aussi (Patrice est handicapé depuis de nombreuses années, ndlr). […] Je n’ai pas d’avis tranché, mais je comprends qu’on resserre les boulons. Il faut un peu s’auto-discipliner ».

Texte et photos Olivier Castel