Mercredi 26 mai 2021

La restauration de la langouste rouge : la recherche scientifique en Corse

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stella mare langouste rouge
Le complexe marin de Stella Mare, par le concours de l'Université de Corse, a de quoi être fier. Cette plate-forme labellisée par le CNRS tenait une mystérieuse conférence de presse ce mardi 25 mai sur un progrès scientifique majeur, qui constitue une première mondiale : l'obtention de juvéniles de langoustes dans des proportions supérieures à celles de nos voisins mondiaux.

Dans les locaux de Stella Mare, plusieurs intervenants se sont présentés à nous, dont le président de la plate-forme. Détenteur, à l'instar de son équipe, de la médaille de l'innovation décernée par le CNRS en 2021, Antoine Aiello a une devise : « Je plaide pour une société de la connaissance ». Ce résultat, il le doit à une suite de protocoles étalés sur un an, mais dans la continuité de 10 années de recherches sur les ressources amniotiques. 

Faire face à une situation alarmante

Le cœur de l'action exposée ce mardi est la maîtrise de la reproduction de la langouste rouge. Et cette espèce n'est pas anodine. Présente entre les côtes et jusqu'à 200 mètres de fond, elle est connue pour son prix excessif, du fait de sa rareté (entre 50 et 100 euros le kilo). Elle connaît un déclin depuis 50 ans, provoqué notamment par une pêche massive et par le remplacement des casiers au profit des filets trémail. Des filets qui peuvent résister 20 ans dans l'eau en continuant à détruire les fonds marins. Malgré des  politiques de restriction appliquées depuis les années 60 portant sur la taille des créatures, avec des périodes de fermetures, les perspectives sont alarmantes et rien ne semble permettre une repopulation naturelle dans les conditions actuelles (les cantonnements ne permettant qu'une stabilisation des chiffres connus). À titre d'exemple, la pêche sur la face atlantique représentait 1000 tonnes en 1959 contre 25 tonnes en 2010. Le Portugal est particulièrement touché, sa pêche passant de 400 tonnes à 12 tonnes entre 1990 et 2007. 

L'enjeu est aussi bien écologique qu'économique. En Corse, 60 tonnes de langouste représentent 4 millions de chiffre d'affaires annuel. La disparition de celle-ci entraînerait la fin de certains métiers et d'un pan de notre culture. Cette avancée est donc « un Graal pour les chercheurs ». 

Mieux que nos voisins

Une étude menée par des chercheurs japonais au début des années 80 indiquait un résultat de 30 % de survie au stade larvaire, avec la maturation de 5 juvéniles au bout de 180 jours. 

Les chiffres corses sont les suivants : une survie au stade 4 dans 83,1 % des cas (obtenue à J+21), et atteignant 50 % au dernier stade larvaire, c'est à dire le sixième, à J+83. C'est un peu mieux que l'équipe de recherches japonaise (J+104 en 2001) et britannique (J+92 en 2019). 

Un des « éleveurs », Jeremy Bracconi, nous fait comprendre toute la difficulté du processus ; « Au stade 6, notre langouste entame une période de jeûne. L'alimentation reçue jusque là sera décisive pour la formation du juvénile ». 

Perspectives économiques 

À long terme, le transfert des juvéniles pourrait s'effectuer dans tout le bassin méditerranéen, mais aussi en Europe. Il permettrait le maintien de la pêche artisanale, une activité multi-séculaire. Gérard Romiti, le Président du Comité National des pêches maritimes et de l'élevage marin, est enthousiaste : « Nous sommes dans le futur. La langouste est le produit phare de la Corse. Quand les personnalités politiques viennent en Corse, ils veulent manger de la langouste, de la bonne charcuterie et du bon vin. Cette espèce  menacée est notre langouste d'or ». Un progrès scientifique au service du rêve d'un rendement maximum durable. 

Stella Mare ne compte pas en rester là, et un besoin en financement est plus que jamais nécessaire pour la construction d'un pôle de développement visant à opérer des restaurations écologiques et à protéger nos emplois. Forte de ses précédents succès (des améliorations sur la reproduction d'espèces telles que l’huître plate, l'oursin, le denti, d'autres mets appréciés participant à l'essor de l'économie locale), elle continue à avancer pour la connaissance des espèces afin de mieux les sauvegarder.  

Comme le dirait Antoine Petit, le président du CNRS présent en visio-conférence : « On a besoin de science pour éclairer les défis sociaux ».

Texte Thomas Sartini / Photos Anghjulà Photography