Lucien Douib et Laura Rapp aujourd'hui à Costa pour l'inauguration du banc rouge de Julie
Hier jeudi 25 novembre, journée mondiale des violences faites aux femmes, au moment même où Jean Castex, premier ministre annonçait une nouvelle série de mesures pour protéger les victimes, deux personnes influentes dans ce combat mené contre les féminicides arrivaient en Corse, Lucien Douib, papa de Julie Douib assassinée en mars 2019 par son ex-conjoint, était accueilli à la mi-journée à l'aéroport de Calvi par les membres de l'association Entraide et Loisirs de Calenzana alors que l'avion dans lequel se trouvait Laura Rapp se posait à l'aéroport de Bastia-Poretta à 15h15.
Laura Rapp est cette jeune fille qui en avril 2018 a été victime d'une tentative d'homicide par strangulation par son ex-compagnon en présence de sa fille alors âgée d'un peu plus de 2 ans. Remis en liberté sous contrainte judiciaire une dizaine de mois plus tard en attendant le procès, son tortionnaire était prêt à repasser à l'acte. C'est un message sur les réseaux sociaux, posté sur Twitter qui lui sauvera la vie, comme elle eu l'occasion de l'écrire dans son livre « Tweeter ou mourir ».
Lucien Douib et Laura Rapp sont depuis devenus des ardents défenseurs de cette lutte menée contre les violences faites aux femmes, au point que la prévention et la lutte contre les violences conjugales constituent une priorité de la grande cause du quinquennat d'Emmanuel Macron.
Autour du grenelle dès 2019, des violences faites aux femmes, force est de reconnaître qu'il y a eu des avancées significatives mais que cela est encore insuffisant avec des chiffres en augmentation de 10%.
À leur arrivée hier à Calenzana, et à la veille de cette inauguration du banc rouge, en exclusivité pour Stampa Paese, Lucien Douib et Laura Rapp ont accepté de s'exprimer sur le drame de leur vie et sur les raisons de leur présence en Corse.
Depuis le verdict du procès de l'assassin de ma fille je n'ai eu qu'une journée et demie de bonheur, avant que le combat ne reprenne
Lucien Douib : «Depuis ce 16 juin 2021 où cet individu a été condamné à la réclusion criminelle a perpétuité avec une peine de sureté de 22 ans, j'ai eu une journée et demie de bonheur, le temps qu'il lui a fallu pour faire appel de sa condamnation. Il avait pris ce qu'il méritait et sa peine était à la hauteur de ce qu'il avait fait. Avec cet appel je suis retourné en arrière. Tu n'avances pas, tu penses à ce qu'il va se passer dans quelques mois lors de l'appel. Il y aussi cet appel pour sa déchéance parentale, bref, on en sort pas et j'ai du mal à comprendre qu'on laisse à ce genre d'individu autant de liberté. Il arrive un moment où les enfants ont besoin de vivre, de se construire et comme ça on n'y arrive pas. C'est compliqué, et puis je lui en veux, je lui en voudrais toujours. Le pire aujourd'hui pour ces deux appels, c'est celui des assises. Durant ces 27 mois avant le procès tu te demandes quel va être le verdict, tu veux qu'il paie pour ce qu'il a fait. Quand arrive le jugement tu es satisfait de la sentence. Et là, on lui donne le droit de contester. Pour les enfants, à mon sens c'est tout aussi important mais on a la chance de pouvoir les protéger. Si pour eux c'est compliqué pour l'avenir ça l'est tout autant pour moi de passer de procès en procès, de pouvoir vivre. Nous, nous avons pris perpétuité et lui peut se permettre de contester. Pour nous quoi qu'il arrive c'est à vie. Nous partirons avec notre douleur, notre souffrance. Que dire aussi des enfants qui n'ont plus leur mère, leur père, leurs marques, qui se retrouvent dans un monde d'adulte pas toujours gentil ou encore dans celui du monde des enfants qui peut-être aussi féroce et qui doivent vivre avec ça ».
Lucien Douib reconnaît qu'à la mort de sa fille chérie, lui comme les siens ont été très entourés, mais admet aussi la difficulté à se trouver seul face à une telle situation, à ne pas savoir comment faire pour faire face : « Oui nous avons des aides, mais pour cela il faut remplir des dossiers et il faut avoir quelques économies pour faire face. On sait que ces aides financières viendront tôt ou tard mais en attendant il faut avancer l'argent et je comprends le désarroi dans lequel certains peuvent se retrouver ».
Sur la prise de conscience de chacun sur ces féminicides et sur cette volonté des uns et des autres d'aller plus de l'avant pour protéger les victimes, Lucien Douib a conscience que l'assassinat de sa fille a été un élément déclencheur. Nombreux ont encore en mémoire ses mots prononcés place Paoli à l'Ile-Rousse lors de la marche silencieuse en présence de 3500 personnes. C'est lui qui avait lancé ce message aux femmes battues, c'est lui qui avait crié haut et fort qu'il serait à leurs cotés pour défendre leur cause. « Je ne pense pas que l'on soit allé assez loin dans nos réflexions et nos prises de responsabilité mais nous savons aussi que c'est un long parcours et que les choses ne peuvent se faire ainsi. On avance, le Gouvernement a fait ce qu'il fallait et continue à le faire comme en attestent ces nouvelles mesures prises aujourd'hui (ndlr : jeudi 25 novembre) ».
Lucien explique ensuite pourquoi il a tenu à être présent ce jour en Corse :
« Tout d'abord parce que dans un premier temps je tenais à remercier la Corse d'avoir été toujours présente pour nous. Comme j'ai eu l'occasion de le dire tout au début j'ai retrouvé un lien de famille comme je pensais que ça n'existait plus. Quand il y a eu cette marche blanche avec autour de nous ces 3500 ou 4000 personnes, je me suis rendu compte que ça faisait qu'une seule famille et je me suis dit à ce moment là que si Julie a voulu rester en Corse c'est pour ça, avec cette sincérité, cet amour, cette solidarité.
Et puis, comme tous ces gens, toutes ces associations ont toujours été présents pour nous, je tenais absolument à être là, et, je le répète, je serais toujours là pour mener ce combat. Ces associations ont besoin de notre aide, elles ont besoin de financement et ce même si c'est compliqué. L'argent est le nerf de la guerre et ça doit être pour elles une priorité. Quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse ce sont elles les femmes. Aujourd'hui pour moi c'est une récompense de voir qu’elles se mobilisent, qu'on arrive à faire des bancs rouges. Ce qui se passe en Corse aujourd'hui lui montre d’où il est qu'il n'a pas gagné et que Julie, qu'il voulait chasser de cette terre, est chez elle ici ».
Lucien a souhaité emmener avec elle Laura Rapp.
« C'est une jeune fille que j'adore, qui a échappé à la mort et qui depuis mène un combat énorme. Aujourd'hui elle a un combat qui est encore plus important que tout, celui des enfants victimes de violences. Elle est dynamique, c'est une battante qui se donne sans retenue pour faire avancer la cause et qui n'hésite pas à interpeller un ministre ou autre pour se faire entendre. Elle a de suite dit oui à mon invitation ».
Cette initiative de bancs rouges dans ces petits villages de corse qui se met en place est un geste fort plein de symboles qu'il convient de saluer comme il se doit
Laura Rapp a survécu à une tentative d'homicide par son ex-compagnon et raconte son histoire incroyable dans son livre « Tweeter ou mourir ».
« J'ai été victime de plusieurs actes de violences de la part de mon ex-conjoint dont j'étais sous l'emprise. Et puis, il y a eu cette nuit d'avril 2018 où devant ma fille Alice alors âgée de 2 ans et demi, il a tenté de me tuer. Incarcéré, quelques mois plus tard il a été remis en liberté sous contrainte judiciaire, sans que mes avocats ou moi-même soyons informés de cette décision.
Clairement j'ai été abandonnée par la justice.
Mon deuxième cauchemar commençait. Je savais que j'allais devoir me battre contre lui mais aussi contre la justice. C'est quelque chose que je ressentais.
En désespoir de cause c'est un appel à l'aide lancé sur twitter en mai 2019, relayé par de nombreux médias qui accéléré le traitement judiciaire de mon affaire. Il a depuis été condamné pour tentative de meurtre et non violences aggravées. Ma fille a été reconnue victime et ça c'était très important pour moi. Il a été déchu de ses droits parentaux.
Mais après, ça été le parcours du combattant.
La justice, oui, c'est certain il y a eu des manquements qui sans les réseaux sociaux auraient pu me coûter la vie et ce sans que l'on soit capable de désigner les vrais coupables. Ce qui est clair, c'est que les victimes de violences conjugales se sont pas assez protégées, les enfants c'est les fantômes de la justice. C'est moi qui ai dû me porter partie civile pour ma fille. C'est vrai qu'il y a un manque de moyens humains et financiers mais cela n'explique pas tout. Il y a aussi un problème d'idéologie.
Si l'on doit parler de progrès, c'est au niveau de la sensibilisation que l'on peut mettre l'accent.
Aujourd'hui c'est une vraie cause nationale. La mise en place de bracelet anti rapprochement, même si c'est toujours compliqué, est une bonne avancée. Le dispositif téléphone « grave danger » est aussi une bonne chose. Autre avancée, celle du nombre de retrait parental en augmentation depuis 3 ans. Le barème des condamnations est lui aussi plus lourd.
La réforme de la justice était en marche ».
Laura Rapp ne pouvait conclure sans parler de Julie, de sa présence en Corse :
« Julie, en Corse, comme sur le continent, c'est devenu un symbole de la cause. Il y a eu sur son dossier des dysfonctionnements graves qu'il ne faut pas occulter et que tout doit être mis en œuvre pour que cela ne se reproduise pas. Si aujourd'hui vous êtes là pour la faire vivre c'est aussi pour sauver les autres victimes. Il faut aussi qu'une bonne fois pour toute, les voix de ces victimes soient entendues. On doit l'écouter, on doit la croire et après c'est l'enquête qui dira.
Et puis, pour les autres, arrêtez de juger les victimes. Quand on est dans leur cas on a honte, on culpabilise. Le regard des autres est très difficile. C'est dingue d'avoir honte.
Cette initiative de bancs rouges dans ces petits villages de corse qui se met en place est un geste fort plein de symboles qu'il convient de saluer comme il se doit ».
Rappelons que c'est à Erbalunga, dans le Cap Corse qu'a été installé le premier banc rouge de Julie, suivi d'un autre à l'Ile-Rousse.
Ce matin à 11 heures, ce sera à Costa. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
L'après-midi à 14h30, tous se retrouveront à Calenzana pour une table ronde sur les violences faites aux femmes et aux enfants.
Inauguration des locaux de la CORSAVEM à Bastia et déploiement du dispositif de prise de plainte en milieu hospitalier à Corte
Toujours en marge de cette journée mondiale des violences faites aux femmes, ce Jeudi 25 novembre 2021, à 17h, François Ravier, Préfet de la Haute-Corse, accompagné d'Arnaud Viornery, Procureur de la République a inauguré des locaux de l'antenne bastiaise de la Corsavem, 10 Avenue Emile Sari à Bastia avant d'échanger avec l'équipe sur l’expérimentation du dispositif de prise de plainte "hors les murs".
À cette occasion, il a été dévoilé un flyer qui sera largement diffusé dans tous les services publics, les pharmacies, les cabinets médicaux, les mairies pour informer et sensibiliser les victimes sur ce nouveau dispositif.
Cette association qui mène des actions d'accompagnement des femmes victimes de violence (prise en charge juridique et psychologique des victimes) dispose également d'un pole du suivi des auteurs de violences conjugales.
À cet égard, la structure a été retenue dans le cadre du 2e appel à projets lancé par le Ministère chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes pour la création d'un centre régional de prise en charge et de suivi des auteurs de violences conjugales (CPCA) qui proposera aux auteurs de violences conjugales un accompagnement psychothérapeutique et médical qui pourra être assorti d’un accompagnement socioprofessionnel visant notamment à l’insertion dans l’emploi.
À Corte, le même jour, à 14h30 Yves Bossuyt, Sous-Préfet de Corte et Olivier Colart, Commandant de la compagnie de gendarmerie de Corte ont signé avec la Directrice du Centre Hospitalier, le protocole de mise à disposition du local dédié à la prise de plainte au sein de l’hôpital.
Cette signature a été l'occasion d’effectuer une démonstration du dispositif numérique qui sera proposé aux victimes.
Gilbert Guizol