Procès Douib : Place aux plaidoiries

« C'était pour moi insoutenable de venir témoigner à la barre. Il sortira un jour. Témoigner c'est m'exposer à des représailles ».
Ces mots de Saveria, ex compagne de Bruno Garcia lus par la présidente font froid dans le dos. « J'ai toujours eu peur de lui, je pense qu'il ne m'aimait pas. J'ai déposé plusieurs plaintes après une agression au « Café de la paix » à L'Ile-Rousse, et plusieurs violences. J'ai eu le sentiment de ne pas être écoutée. J'avais l'impression que les gendarmes en avaient marre de me voir. On m'a dit que les corses parlaient beaucoup, sans agir » ajoute Saveria dans son récit.
Après une légère interruption, la présidente reprenait en donnant lecture de la déposition d'un autre témoin absent, ami de l'accusé.
« Entendu le 4 mars 2019, au lendemain des faits, la veille il devait déjeuner avec Bruno mais quand lui et sa compagne sont arrivés chez lui, il lui a dit « viens avec moi à la gendarmerie. C'est là que j'ai vu qu'il avait du sang ».
Ce témoin est renvoyé devant le Tribunal correctionnel pour destruction de preuves. Il a brûlé des affaires après la mort de Julie et fait disparaître un ordinateur portable, deux téléphones, celui de Bruno et celui de Julie. Un geste qu'il explique dans un « moment de panique pour éviter les perquisitions ».
Les différentes interventions de la famille étaient très attendues et l'émotion gagnait très vite la salle quand Violette, la maman, prenait la parole. Elle décrit, les humiliations, les souffrances physiques et morales subies par Julie.
« Il voulait en faire son objet, sa chose, il a tué ma fille »
L'accusé reste tête baissée dans son box. Violette ajoute « Bruno a volé son identité, il voulait en faire son objet, il voulait en faire sa chose. Julie s'est éloignée de ses amies et de nous. Elle ne venait plus nous voir parce que Bruno ne le voulait pas et tous les prétextes étaient bons. Je crois que Julie a eu un déclic, elle a osé porter plainte. Elle ne serait jamais partie de Corse sans ses enfants, elle voulait vivre, c'est tout. Il a tué ma fille ».
Violette s'effondre, l'émotion est trop forte, elle fond en larmes. Son fils Jordan lui apporte une chaise et la réconforte. Malgré la douleur, elle souhaite poursuivre, elle parle des enfants de leurs inquiétudes et de leurs incompréhensions. Et puis elle ajoute : « Il n'y a pas que le procès, il y a aussi les audiences devant les juges des affaires familiales et Bruno conteste tout. Les enfants en ont marre des juges, des psychologues, ils veulent vivre normalement ».
Il a tué ma grande sœur, il a tué Julie, ma grande sœur, mon repère
Jordan, le frère de Julie, vient à son tour à la barre. Le regard noir, il fixe intensément l'accusé.
« Elle me disait : Jordan, il est partout, un jour il va me coincer, il va me mettre une balle. Elle avait demandé la garde alternée, le juge la lui a refusé, elle était anéantie. Il avait gagné, il avait les enfants mais non, après il a tué ma sœur. Il a tué ma grande sœur, il a tué Julie, ma grande sœur, mon repère. Aujourd'hui je suis sous médicaments. Tous les jours je fais subir à ma femme mes changements d'humeur, ma colère. Je me bat contre moi-même ».
La présidente repousse de quelques minutes l'audition de Lucien, le papa, pour s'intéresser à la personnalité de l'accusé en vu de la déposition vers 18h30 de l'expert psychiatre.
En attendant, le premier assesseur s'intéresse à une autre expertise psychiatrique effectuée le 26 avril 2019 au Centre Pénitencier de Borgo. Il ressort de celle-ci que Bruno Garcia-Cruciani n'a pas subi de maltraitance dans son enfance, pas de carence éducative, il a des séquelles d'un accident de moto en 2015.
Il est tendu, on constate une irritabilité majeure en début d'entretien, il y a eu des bagarres avec d'autres détenus, il est sûr de lui avec une psychorigidité importante, pas d'état dépressif majeur, pas de troubles psychotiques. Il a expliqué que depuis que Julie fréquentait une salle de sport, il était devenu jaloux, méfiant. Pour lui elle commençait à préparer la séparation mais il n'est pas violent. Il évoque le prof de sport et son beau-père qui disaient du mal contre lui. Il est extrêmement remonté. Il décrit la séparation en mettant en parallèle son investissement auprès des enfants...
Il estime que sa place n'est pas en prison, qu'il y a un acharnement et s'oppose en victime par rapport à tout ce qui s'est passé !
Des réactions montent du public.
L'expert reprend en précisant que l'accusé a deux persécuteurs désignés : le prof de sport et son beau-père. Il est paranoïaque mais sans altération du contrôle de ses actes.
L'avocate générale demande : « Quand il explique que Sébastien, le nouvel ami de Julie allait être sa force et qu'en sortant il allait lui régler son compte, peut-on le prendre au sérieux ? ».
OUI répond l'expert qui ajoute : « Sur le plan psychiatrique on arrivera à rien. La personnalité paranoïaque on ne la modifiera pas, on peut pas la soigner, il est sans appel...
Je lui ai donné mes yeux, il m'a rendu aveugle
Lucien Douib, le papa, témoigne à son tour. Lorsqu'il évoque l'accusé, il se refuse de l'appeler par son nom, préférant dire « Ce Monsieur là ».
Dès le début de son intervention, Lucien Douib parle des enfants.
« Cela fait 27 mois que ce Monsieur n'a pas demandé des nouvelles de ses enfants. Son seul but est de nous les enlever. Quand j'ai rencontré ce Monsieur, je lui ai dit : « Je te donne mes yeux et il m'a rendu aveugle ».
Lucien parle avec le cœur, avec amour pour sa fille qu'on lui a arraché, il parle aussi de ses souffrances, de son combat contre les violences faites aux femmes...
L'avocat de Bruno-Garcia-Cruciani revient sur cet incident survenu au stade de l'Ile-Rousse fin 2018. « Lucien avait mis un coup de tête à l'accusé qui avait porté plainte » rappelle Me Radot.
L'avocate générale précise de son côté que c'est elle qui a désigné un administrateur Ad-Hoc pour les enfants de Julie et Bruno afin qu'ils puissent être représentés à l'audience parce qu'elle considère qu'ils sont également victimes.
Le public applaudit.
« Je défends quelqu'un qui est peut-être le dernier des hommes, n'empêche qu'il veut avoir des nouvelles de ses enfants » s'emporte Me Radot, avant de poursuivre : « Les enfants sont des victimes. Mon client est responsable de cette situation, je ne le remet pas en cause ».
Me Radot demande une suspension de séance, la présidente veut voir l'ensemble des avocats pour évaluer les temps des plaidoiries estimées par les deux parties pour fixer l'agenda du reste de l'audience.
Contrairement à ce qui a été un moment envisagé, le verdict ne devrait pas tomber ce soir.
Texte Gilbert Guizol