Un lumiais photographe de guerre en Ukraine
C'est dans son cocon familial, autour d'un café, que Scott Laurent a accepté de nous recevoir et de nous raconter son parcours pour le moins atypique : « Cette passion pour la photo m'est venue du lycée. Je me suis pris un appareil photo pour mon anniversaire et j'ai fait plein de photos comme pas mal d'adolescents. Juste après le Bac, j'ai pris une année sabbatique et je suis parti en Asie et j'ai parcouru le Vietnam, Laos, Cambodge et Thaïlande. Un périple au cours duquel j'ai fait plein de photos. C'est là que j'ai compris et que je me suis dit : c'est ça que je veux faire » explique notre baroudeur.
À l'époque de son passage dans l'armée, cette image de photo reporter de guerre le taraude déjà. Sans la moindre autorisation de la « Grande muette » et de façon complètement illégale, il se lance dans un projet de photo documentaire, « 100 jours de garde », sans que l'armée n'ait pu avoir son mot à dire ! Ce documentaire photographique a été réalisé entre octobre 2017 et octobre 2020. 128 clichés ont été sélectionnés et auto-édités dans un ouvrage de 176 pages.
Ce choix aujourd'hui de tourner le dos au numérique pour sa focaliser sur l'argentique, Scott l'explique : « En première année aux Beaux-Arts on a une formation un peu technique, que ce soit dessin ou autres. Perso, je me suis lancé vers la photo. Nous avions des assistants qui nous donnaient des cours d'argentique, développement, tirage… Là, j'ai commencé vraiment à shooter à l'Argentique. À un moment donné je faisais du numérique et de l'argentique mais très vite j'ai fait le choix d'avoir un corps de travail homogène et j'ai opté pour la pellicule. Quand j'étais aux Beaux-Arts on avait tout le matériel et je faisais mes propres développements. Aujourd'hui, pour plusieurs raisons ce n'est plus le cas. Je fais appel à des labos spécialisés sur Paris ».
Même si pour l'heure c'est encore compliqué, Scott Laurent, photo reporter de guerre a fait de ce métier sa profession.
Ma mère m'a dit « tu n'es pas encore parti en Ukraine ?! »
L'idée de se rendre en Ukraine sur une zone de conflit a été mûrement réfléchie : « J'ai quitté l'Armée en 2020 et comme je voulais vraiment me lancer comme Photo-Reporter de guerre. Le conflit en Ukraine qui couvait a éclaté et là je me suis dit qu'il était temps que je mette à exécution cette idée qui me trottait dans la tête, et ce bien avant l'invasion. C'était le moment ou jamais d'y aller. Quand il y a eu l'invasion, je travaillais sur le continent et je n'ai pas pu y aller directement. Je suis rentré en Corse, j'étais un peu dans le flou et c'est là que ma mère m'a dit « tu n'es pas encore parti en Ukraine?! ».
Non sans appréhension de quitter les siens, sans le moindre bagage technique en matière de journalisme, notre Photo Reporter de Guerre franchissait le pas pour débarquer à Odessa.
« C'était très compliqué au début. Sans ce bagage indispensable j'ai découvert ce monde si particulier de reporter de guerre. Pour tout ce qui est question d'accréditation, gérer les fixeurs et tout ça, je n'avais aucune idée de comment cela fonctionnait. En fait en arrivant sur place j'ai passé la frontière facilement avec un visa de tout ce qui a de plus simple et sans que l'on me pose vraiment de questions. Et, en fait, ce n'est qu'après m’être fait arrêter à trois ou quatre reprises par la Police ukrainienne que j'ai fini par comprendre qu'il me fallait des accréditations, qui en plus ne sont pas très compliquées à obtenir, il faut juste montrer patte blanche à l'armée ukrainienne. Où c'était compliqué, c'est qu'il fallait que je fasse tout moi-même. Il me fallait des fixeurs mais je n'avais pas forcément le budget pour. Les trois premières semaines ont été difficiles, très frustrantes.
J'ai fini par rencontrer des gens qui m'ont présenté d'autres personnes qui a fait que tout se débloque. Des journalistes d'expérience m'ont appris quelques ficelles du métier et j'ai pu dérouler un peu plus. Au début j'ai travaillé à Odessa, c'était un peu tendu car on ne savait pas trop ce que les russes allaient faire. Après j'ai opéré dans plusieurs villes, entre Odessa, Kharkiv ainsi qu'aux alentours. Mais l'essentiel de mon travail s'est concentré sur Kharkiv. Le hasard a parfois bien fait les choses. Je suis arrivé à Kharkiv de nuit, il y avait le couvre-feu, je me suis fait arrêter par la Police. Le chef de patrouille m'a fait comprendre que je ne trouverais pas de chambre d'Hôtel et m'a invité à venir deux/trois jours dormir chez lui. Le lendemain il était en congés et m'a présenté du monde. C'est des moments que l'on n'oublie pas et qui vous aident dans ces moments. Toujours par hasard, j'ai rencontré des militaires, des médecins, des amis à eux… Étant d’origine anglaise j'ai pu converser avec eux et ça m'a bien servi. »
On peut retourner le problème dans tous les sens que l'on veut, c'est un massacre de civils, c'est des crimes de guerre
À la question de savoir ce qu'il retenait de cette aventure, Scott a un avis bien tranché : « Je pense qu'au final, mon sentiment transparaît pas mal dans le livre qui parle de pas mal de chose à commencer bien entendu par la guerre mais aussi qui je suis, de ce jeune photographe sans vraiment trop comprendre comment marche le métier. Ce qui m'a le plus embêté, ce sont tous les déboires journalistiques, questions de fixeurs, de logistique, etc. Lorsque je ne pouvais pas faire de photos je me suis mis à écrire. C'est une autre facette de mon livre. C'est un métier pour lequel j'ai eu du mal à me mettre dedans. »
Pour conclure, Scott Laurent, livre son analyse sur le conflit par lui-même : « J'en ai une vue assez simple. Déjà, il y a la politique d'un côté et la réalité de la guerre de l’autre. Ce sont deux choses indissociables mais en même temps, on peut penser ce que l'on veut de l'invasion russe, on peut y trouver plein de justifications sans même tomber dans la théorie du complot. Il y a plein de façons de retourner le problème, mais toujours est-il que quand j'étais à Kharkiv, ce que j'ai vu, c'était des Hôpitaux bombardés au quotidien, des écoles, des casernes de pompiers et autres structures civiles, dans le seul but de faire régner la terreur. Dans les guerres, il y a toujours des dommages collatéraux, il y a toujours des missiles qui ne tombent pas où il faut, il y a des civils qui en pâtissent mais là, de ce que j'ai vu c'était un massacre systématique de civils, c'était méthodique et à ce niveau là, on peut retourner le problème dans tous les sens, c'est un massacre de civils, c'est des crimes de guerre. Après, l'armée ukrainienne a aussi sa part de responsabilité. J'ai rencontré un chef de bataillon ukrainien qui avait commis des crimes de guerre. Il faut en parler aussi et il faut que les ukrainiens qui commettent des crimes soient tenus pour responsables, jugés et condamnés. C'est primordial si l'on veut continuer à les aider. À côté de ça, ce que fait l'armée russe en Ukraine, c'est incroyable de violence et de cruauté. Ils bombardent des musées, s'attaquent à la culture, aux populations. Dans les villes libérées récemment comme par exemple Kierson, ils sont arrivés dans les écoles occupées, ils ont supprimé tous les livres d'éducation ».
Retour en Ukraine au mois de Janvier 2023
Au mois de janvier prochain, Scott Laurent retournera en Ukraine, avec l'idée d'axer son travail sur la reconstruction de Kharkiv. « J'ai aussi l'intention de me rendre dans le secteur de Bakhmout où ça chauffe beaucoup en ce moment, mais sans prendre pour autant de risques insensés. Ensuite, au mois de Février, avec une amie des Beaux-Arts qui est photographe culinaire et designer culinaire qui voudrait qu'on aille en Ukraine non pas pour aller au front car elle n'a aucune expérience mais on a en projet de réaliser un reportage sur la nourriture en temps de guerre, comment ça se passe, comme continuer à faire à manger sans électricité, comme c'est souvent le cas. »
En attendant, n'hésitez pas à vous procurer le livre qui est un témoignage de ce qu'est la guerre en Ukraine vue par un jeune reporter photo de guerre d'une immense sensibilité qu'il tient, malgré la difficulté, à conserver, ce qui quelque part fait aussi sa force.
* Le livre de Scott Laurent, Deux poignées de terre, est disponible ici.
GILBERT GUIZOL