Psycho : Quand les enfants nous parlent de leurs traumatismes à travers leurs dessins
(Cognet & Cognet, 2018).
Le dessin n’est pas un simple acte moteur avec l’intention de laisser une trace figurative ou abstraite, il est « le reflet direct d’un modèle interne » (Holvoet & Scola & Arcizsewski, 2017).
Nous le savons, dès le plus jeune âge, le dessin est un moyen d’expression pouvant être le miroir d’un monde imaginaire, de désirs, mais aussi le reflet d’angoisses vécues. Dessiner permet aux enfants de visualiser ce qui les préoccupent et dans ce sens, le dessin peut devenir l’exutoire d’une détresse psychologique profonde. Il nous laisse penser que ces maux traduits sur papier, peuvent faire écho à un vécu traumatique antérieur.
Ainsi, l’interprétation du dessin d’enfant pourrait nous donner des indices sur sa souffrance ? Mais le traumatisme, c’est quoi ?
Il vient du grec trauma, la blessure. Le trauma désignait au départ une atteinte physique. Il s’est répandu dans l’usage courant sous le nom de traumatisme au XXème siècle par l’intermédiaire de la psychologie et de la psychanalyse.
Ce sont tout d’abord des psychanalystes qui portent un intérêt aux dessins d’enfants. Anna Freud et Mélanie Klein sont les premières à accorder une place aux dessins d’enfants au sein de la cure psychanalytique.Selon Anna Freud, le langage de l’enfant est différent de celui de l’adulte. L’enfant « ne parle pas », il est alors nécessaire d’utiliser des médias pour libérer sa parole. Le dessin se présente comme une « ressource » pour le thérapeute afin de comprendre la vie psychique et inconsciente des enfants. Pour Melanie Klein, « le dessin ouvre la voie à l’interprétation ». Il entre dans les techniques d’analyse du jeune enfant aux côtés du jeu, du découpage ou bien du modelage. Dans la théorie psychanalytique, l’acte graphique prend ses sources dans l’appareil pulsionnel dans un « désir d’émergence du corps » (Garcia-Fons, 2002). Pour tous les enfants, le dessin est un acte spontané qui se met en place avant l’apparition du langage et plus particulièrement au moment du développement des facultés motrices comme la marche et le sens de l’équilibre. Pour le jeune enfant le terme « gribouillage » semble mieux approprié car il n’y a pas d’intention de représentation, il laisse seulement une trace de lui.
Pour chaque enfant, le dessin peut constituer à la manière du doudou un espace transitionnel où il peut prendre conscience de lui-même et de ce qu’il a vécu.
Donald Winnicott parle d’un espace transitionnel de création. Il l’explique à l’aide de sa technique des squiggles.
Selon lui, cette technique permet d’entrer en communication avec l’enfant d’une manière intermédiaire à la parole. En 1927, Sophie Morgensten présente son travail dans lequel elle place le dessin comme une modalité centrale de la cure psychanalytique. Elle y figure le cas du petit Jacques âgé de neuf ans qui refuse de parler depuis deux ans au moment du premier entretien. Sophie Morgensten lui propose de dessiner son chagrin. À travers les dessins que réalisait l'enfant, l’analyste émettait des interprétations qu’il approuvait ou non à l’aide d’un hochement de tête. C’est à la fin de la cure que le jeune garçon sort de son mutisme et prononce ses premiers mots concluant : « Je vous ai déjà tout raconté par le dessin ».
Ce grand intérêt porté au dessin à travers les décennies a permis aux approches cliniques de lui accorder une place importante dans les situations traumatogènes. Françoise et Alfred Brauner se sont intéressés aux enfants victimes des évènements de la guerre d’Espagne en 1937. Ils ont ainsi décidé d’étudier différents dessins. Des dessins réalisés par des enfants écartés des drames de guerre et d’autres réalisés par des enfants exposés à des situations traumatisantes. Les dessins se sont montrés révélateurs du vécu traumatique ou non.
Ils ont alors entrepris une expérience consistant à demander aux enfants de réaliser trois dessins sur les thèmes suivants :
- Ma vie avant la guerre
- Ce que j’ai vu de la guerre
- Comment je vois ma vie après la guerre.
Cette étude a révélé que 90% des dessins ont été réalisé sur le second thème. Cette technique a permis de démontrer que pour plusieurs enfants, l’image traumatique était parvenue à faire effraction dans le psychisme. Aujourd’hui, le dessin est proposé comme « un moyen thérapeutique » en post immédiat.
Le dessin constitue une aide pour les soignants et permet « d’amorcer un travail de reconstruction psychique » (Baqué, 2000).
En 2004, Jean-Michel Coq et Didier Cremniter ont étudié les dessins d’enfants réfugiés du Kosovo. Ces enfants avaient vécu pendant de longs mois des évènements traumatiques. Leurs productions graphiques ont été réalisées sur trois séances.
Au cours de la première séance, qui se déroulait le lendemain de leur arrivée, 80% des dessins d’enfants âgés de cinq à onze ans présentaient des maisons vides, déstructurées.
Quelques mois plus tard, une deuxième séance est proposée aux enfants. Les dessins semblent restructurés, par exemple, des bateaux apparaissent. La réorganisation graphique semble traduire une réorganisation psychique.
Deux mois plus tard, arrive la dernière séance. Les dessins mettent en scène des personnages, ils sont plus riches mais certains présentent des éléments renvoyant à la guerre.
L’inquiétude d’un retour au Kosovo s’est traduite dans leurs dessins. « Les dessins de ces enfants se sont réorganisés par un travail d’élaboration psychique qui les a aidés à relier leur nouvel espace de vie à l’ancien et a permis à certains d’entre eux de s’engager dans un processus de transformation des contenus traumatogènes auxquels ils ont été confrontés. » (Coq & Cremniter, 2004). D’autres auteurs ont tenté de faire des recherches sur l’importance du dessin d’enfant en situation d’abus sexuels répétés. Ces situations constituent des traumatismes souvent ancrés dans la durée.
En 1968, Koppitz avait créé une cotation d’indices graphiques visant à faire une différence entre les dessins d’enfants dit « normaux » et ceux ayant vécu une agression sexuelle.
Parmi ces indices, nous pouvons relever la présence d’attributs sexuels dans 50% des dessins d’enfants victimes. Les enfants avaient aussi tendance à se présenter isolés et petits dans le dessin. Nous pouvons supposer que ces caractères mettaient en évidence la vulnérabilité à laquelle étaient exposés ces enfants.
De plus, Philippe Greig a lui aussi étudié les dessins d’enfants en situation d’abus sexuels. Il explique au détour d’une vignette clinique d’un petit garçon âgé de sept ans que la présence du feu, de la couleur rouge et du sang pourrait être le reflet d’un traumatisme inscrit dans le psychisme de l’enfant. Ces études nous permettent de mettre en évidence l’importance du dessin pour les enfants qui ont vécu des expériences traumatiques et de le placer comme un des outils aidant au diagnostic du psychotraumatisme. Plusieurs de ces études ont permis pour les psychologues et chercheurs contemporains de rendre compte du fait que la trace graphique pouvait être plus révélatrice que la verbalisation chez les jeunes enfants.
Toutefois, il est nécessaire d’appréhender ces mots avec beaucoup d’attention car comme nous le savons, l’expérience traumatique est différente d’un enfant à l’autre et nous pouvons penser que ce vécu traumatique peut prendre diverses formes dans les dessins d’enfants.
Monsieur et Madame Cognet nous expliquent dans leur livre Comprendre et interpréter les dessins d’enfants :
« Les dessins, quelle que soit leur qualité esthétique, sont très directement les témoins du monde psychique de leur auteur. Leur analyse demeure cependant difficile et semée d’embûches ».
En effet certaines productions graphiques réalisées par les enfants ne permettent pas à première vue de poser un diagnostic de psychotraumatisme. Après un épisode traumatique, les enfants sont souvent sollicités très rapidement pour dessiner.
Hélène Romano a constaté que certains enfants exposés à une situation extrêmement traumatogène ne font pas apparaitre dans leurs dessins d’éléments qui puissent mettre en évidence la présence de traces traumatiques.
Elle parle de « dessins-leurres ». Pourtant, dans ces cas, la prise en charge révèle bien souvent l’intensité d’une souffrance psychique extrême.
En 2009, Hélène Romano réalise une étude auprès de 87 enfants âgés de cinq mois à dix-sept ans. Ces enfants avaient tous perdu un proche dans des conditions extrêmement traumatisantes. Il est apparu que 65 de ces enfants produisaient des dessins en total décalage avec l’horreur vécue (grand soleil, champs bucoliques…). Ces « dessins-leurres » nous permettent de supposer la mise en place de mécanismes de défense tels que le refoulement ou le déni.
L’image traumatique semble tellement insupportable qu’elle ne peut être traitée par le psychisme insuffisamment structuré de ces enfants. Dans ces conditions il semble difficile de poser un diagnostic à partir du dessin de l’enfant qui ne laisse pas apparaitre de potentielles séquelles. Ces dessins ne constituent pas la majorité des dessins produits par les enfants traumatisés mais révèlent une des limites de l’utilisation et de l’interprétation du dessin de l’enfant comme seul outil diagnostic en cas de suspicion d’un traumatisme.
En somme, le dessin est un média essentiel qui permet à l’enfant d’élaborer sa pensée et peut lui permettre de libérer sa parole. Philippe Wallon explique que le dessin a une valeur projective pour l’enfant, « l’enfant projette à l’extérieur sur la feuille de papier, les sentiments qui l’occupent intérieurement ». Il peut permettre à l’enfant d’amorcer un dialogue avec l’adulte sans verbaliser ses émotions. L’importance pour le parent, l’adulte ou encore le thérapeute sera de créer un espace sécurisant et contenant pour l’enfant. En cas de traumatisme, un dessin d’enfant pourra permettre à l’adulte de prendre conscience de sa souffrance et ainsi, accompagner l’enfant vers un processus de résilience.