Cinéma : Thierry de Peretti présente son nouveau film 'À son image'
- Vous sortirez cette année une adaptation de « À son image », lauréat du prix du Monde et du prix Méditerranée en 2018. Il s'agit d'une livre puissant, qui met en lumière les liens entre l’image, la photographie, le réel et la mort. Qu’est- ce qui vous a poussé à l’adapter au cinéma ?
D’abord c’est le roman qui m'a secoué. Je n'avais jamais fait d'adaptation et "À son image » me permet de me confronter à l’exercice, avec l'écriture de Jérôme Ferrari, qui est mon contemporain. Il explore des territoires de fictions, politiques et historiques qui me sont familiers, mais de façon radicalement différente.
- Dans votre adaptation, il y a t-il une forme d’allégorie funèbre de l'histoire de la Corse ?
Peut-être, mais je ne m'en occupe pas trop. C'est presque un peu trop général pour moi. J'essaye de ne pas trop penser à ces grandes idées, sinon c'est écrasant. Ce qui m’intéresse ce sont plutôt les scènes qui peuvent produire du cinéma à l'intérieur d'un récit, et bien sur les personnages et ici le personnage principal d'Antonia, d’abord.
C’est une jeune photographe de Corse-Matin totalement connectée à l'Histoire de l'île de ces années-là, que la pratique de la photographie maintient à une certaine distance physique et critique. C’est un personnage très puissant, inédit même dans la fiction contemporaine dont le rapport aux images résonne beaucoup pour moi avec ce qu’est la mise en scène et l’écriture au cinéma.
- Au cours de sa vie, Antonia traverse des moments marquants, qui sont contemporains dans l’Histoire de l’île. Avez-vous ressenti une certaine difficulté pour retranscrire ce type de période dans votre film ?
Jusqu'à présent, les personnages que j’écrivais étaient inspirés de personnes réelles. Même si une fois les films terminés ils s’en sont éloignés finalement beaucoup, car s’est opérée avec la fiction, une fusion entre le modèle et… autre chose. Cet autre chose, ce sont les actrices, les acteurs mélangés au film. Mais c’est vrai que c'est la première fois que j'écris un film à partir de personnages qui n'existent pas, des personnages de littérature. En revanche, les événements dans lesquels ils sont projetés sont des événements historiques. Bastelica-Fesch, ce qui s'est passé à la prison d'Ajaccio, la mort de Robert Sozzi… Le récit est structuré, rythmé par ces événements réels alors que les personnages sont fictifs.
- En tant que réalisateur corse, est-ce qu’on ressent un certain défi de réaliser ce genre de film ? Même s'il s'agit de personnage fictifs.
Lors des événements de Bastelica-Fesch j'avais 9 ans, j'ai des souvenirs et je travaille aussi avec ces souvenirs-là d'enfant. Mais faire des films qui évoquent des moments de mémoire collective c’est une manière de questionner ce qui nous en reste aujourd’hui, non de dire "Regardez, je vais vous monter comment les choses se sont passées". Ce qui compte d’abord c’est le cinéma, c’est les moyens de cinéma qu’on utilise pour re parler d’un moment, s’en rappeler.
- Vous avez une manière de tourner, de mettre en scène appréciée par les comédiens, notamment durant ce tournage. Pouvez-vous l'expliquer ?
Il faudrait leur poser la question. Je pense que ça varie beaucoup en fonction des scènes à tourner. On devrait regarder ensemble telle ou telle séquence pour que je puisse raconter de quelle manière elle s’est écrit, préparée, tournée et finalement montée et on pourrait voir les différentes couches qui se sont superposées. Ce qui est sûr c’est que le travail avec les acteurs est central. Il ne se résume pas pour eux à incarner ou à interpréter, il implique une participation à l’écriture même. Cette participation, c’est le point de vue. Leur point de vue mélangé au mien. Voilà pourquoi c’est si important pour moi de travailler avec des acteurs qui ont quelque chose à dire des scènes, qui sont capables de chercher avec moi le sens nouveau qu’une séquence pourrait prendre, d’imaginer aussi comment elle va se passer physiquement.
J’aime aussi que quelque chose d'inattendu surgisse dans une séquence. Pas forcément quelque chose d’extraordinaire, mais des petits éléments concrets qui donnent au spectateur l’impression que ce qu’il voit se passe au présent, dans le même temps que celui dans lequel il regarde. Mon travail est de faire en sorte que cette sensation de pur présent puisse advenir. Là encore ce sont les actrices, les acteurs, la liberté avec laquelle ils habitent les plans qui donnent cette impression.
- Comment s’est effectué le choix des acteurs ?
C'est un long processus qu’on met en place avec Julie Allione qui fait le casting de tous mes films, mais est présente à chaque étape de leur élaboration. Il n’y a pas de méthode qu’on reproduirait film après film, on réfléchit en amont à comment nous allons nous y prendre pour tel film en particulier, au protocole le plus juste et puis aussi à celui qui nous intéresse ou nous amuse le plus. Pour « À son image », nous avions d’abord imaginé faire le film avec les actrices et les acteurs d’Une vie violente, on avait très envie de les retrouver, parce que ce sont des acteurs très forts et que l’idée d’une même troupe pour les deux films nous plaisaient beaucoup. Mais on s’est rendu compte et je crois, eux aussi avec nous, qu’on buttait sur la question des âges. Ils étaient déjà trop âgé.e.s pour le début du récit (qui a une grande place dans le scénario) mais étaient quand même trop jeunes pour la fin de l’histoire. Cette question de l’âge et du temps qui passe (dans le roman vingt-cinq ans se passent entre le début et la fin) a été un vrai casse-tête pour moi jusqu’à assez tard : fallait-il deux, voire trois distributions, une pour chaque époque que traversent les personnages ? Ou bien une seule, mais alors quelle tranche d’âge privilégier ? Nous avons avec Julie pris la décision qu’il n’y aurait qu’une seule distribution d’actrices et d’acteurs proches en âge des personnages au début de l’histoire, mais ayant une maturité suffisante pour que le spectateur puisse croire à eux quand ils auraient trente ans dans le film. Nous avons donc commencé ou re commencé un casting depuis le début en se disant que le film se déroulerait non pas sur vingt-cinq ans, mais plutôt sur une quinzaine d’années, même si ça voulait dire de condenser les temps et de rapprocher de manière un peu artificielle les repères historiques.
Ceci établi, nous ne souhaitions pas simplement constituer le casting mais aussi rencontrer le plus de monde possible pour aborder frontalement les questions que le film pose, naturellement les questions politiques, mais pas que. Cette étape presque documentaire est aussi importante pour nous que de trouver celles et ceux qui vont incarner les rôles. Surtout qu’à part cette histoire des âges, nous n’avons pas d’idées préconçus de ce que devraient être les personnages.
- Vous avez donc choisi des gens assez imprégnés par le contexte politique de la Corse…
Dans un premier temps nous n’avons pas fait passer de bouts d’essais à partir du scénario comme ça se fait habituellement, mais mené avec ceux qui se présentaient au casting des séances d’entretien. Nous avons collecté de données. Exactement à la même période, il y a eu les émeutes et l'embrasement de la rue corse après l'agression en prison d'Yvan Colonna. Bien sûr cela a percuté ou orienté la façon dont les entretiens ont été menés par Julie.
Les acteurs qui ont finalement été choisis pour jouer les personnages principaux sont dans la vie particulièrement imprégnés de la réalité contemporaine de la Corse : Clara-Maria Laredo, qui joue Antonia ou encore Marc'Antonnu Mozziconacci, Andrea Cossu, Pierre-Jean Straboni, Savéria Giorgi, Barbara Sbraggia. C’est donc aussi leur façon de vivre ou de penser cette réalité qui crée une dynamique avec les personnages. Nous avons passé du temps ensemble pour réfléchir à tout ça, à cette histoire que le film raconte, à répéter, improviser, ré-écrire. Ce sont tous des acteurs d’une exceptionnelle intensité et intelligence de jeu.
- Vous avez un rôle dans votre propre film. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
Je jouais le rôle de l’oncle et parrain d’Antonia qui est prêtre et fait la messe pour ses obsèques. C’est la deuxième fois que je joue dans un film que je réalise. Pourtant jouer c’est mon premier métier. La mise en scène demande une concentration très particulière alors que jouer c’est tenter de se dégager de toute la pression pour être le plus libre possible et pouvoir proposer le plus de choses devant la caméra… Ce n’est pas du tout la même charge mentale. Peut-être que jouer dans son propre film est un exercice plus simple si on tourne avec un rôle plus important et quotidiennement, parce qu’alors une sorte de gymnastique se met en place autour de ça. Ce n’était pas le cas avec le personnage que je jouais. Ça me demandait une fois ou deux par semaine de changer de costume pour tenter de jouer le moins mal possible ! C’était assez laborieux pour moi j’avoue…
- Dans quoi vous épanouissez-vous le plus ?
Fabriquer des films, on peut dire que c’est aussi comme pour les acteurs, de parler avec les mots des autres, de croiser ses propres expériences avec celles des autres. D’une certaine façon il s’agit aussi d’interprétation, c’est en tous cas comme ça que je l’envisage.
- Qu'est-ce qui vous a poussé à vous diriger vers le cinéma ? Ce n'est pas un milieu très facile...
Je voulais être acteur et c’est par la pratique du plateau que j'ai eu la possibilité de faire de la mise en scène au théâtre, puis on m’a laissé faire des films, raconter des histoires qui comptaient pour moi et me semblaient importantes, et on m’a laissé le faire de la manière dont je voulais. C'est une chance qui m’a été donnée.
- Constatez-vous un changement dans le monde du cinéma ces dernières années ?
La pression qu’exerce le marché sur les œuvres, en partie sous l’influence des plateformes prend une place grandissante, l'espace qu’il reste pour les projets indépendants ou personnels se réduit. Le cinéma est un art industriel cher et ceux qui mettent de l'argent dans les films demandent de plus en plus d'être rassurés par un scénario qui ressemble à l’idée qu’ils se font d’un scénario, par un sujet ou un genre, par le nom des acteurs... La liberté est chère, mais je pense que le cinéma parvient malgré tout à se renouveler dans les interstices.
- La Corse fascine de plus en plus...
Ce qui a de la valeur pour moi, ce sont les artistes insulaires, quel que soit le champ dans lequel ils réfléchissent et travaillent, qui racontent ce qu’ils vivent et voient, ce que nous sommes. Je suis toujours très curieux de découvrir de nouvelles façons de dire ou de raconter et qui me parlent de mon époque.
-Quels sont vos projets à venir ?
Ils sont tous liés à la Corse. Je rêve depuis longtemps de faire un film qui se passe à Ajaccio, un portrait de la ville. Mais ce n’est pas facile d’imaginer un autre projet pour moi pour le moment, alors que celui-ci n’est pas terminé, parce que j’ai toujours l’impression que chaque film est le dernier. On verra. Ce qui est sûr c’est que c'est en Corse que mon regard se porte, c’est ici que je me sens le plus engagé, que tout me réveille, me concentre.
Alexandra Bischof.